Je travaille dans une librairie spécialisée en BD et jeunesse. Les romans ne sont pas notre cœur de cible, mais on en propose tout de même l'équivalent de deux bibliothèques pour les enfants et les ados. Toute l'équipe du magasin a travaillé en librairie généraliste et apprécie toujours proposer des « vrais » livres, comme disent les gens snobs. Évidemment, nous avons moins de demandes de conseils sur les romans par rapport à l'illustré. Je suis responsable du rayon jeunesse de cette librairie et, depuis la rentrée, la plupart de mes lectures pour le travail répondent à un objectif précis : constituer la meilleure proposition de romans pour la période de Noël. Certes, il y en a peu dans le magasin, mais ce peu est de qualité !
Décembre est un mois effréné en librairie. Il n'y a quasi plus d'office (le jargon pour parler des nouveautés), donc on a moins de manutention, ouf ! On a donc tout le temps de courir après les réimpressions de dernière minute pour garantir des livres sous le sapin à temps pour les fêtes. Des clients organisés ont des listes de cadeaux, d'autres préfèrent choisir en magasin au gré de leurs envies. On a lu toutes les nouveautés et grâce à notre immense culture (il faut bien se lancer des fleurs), on peut conseiller à tour de bras des albums pour tous les goûts et pour tous les âges. Des tables ont été pensées en amont pour être pleines de bonnes idées cadeaux en piles attrayantes si on n'arrive pas à se dédoubler pour répondre à toutes les sollicitations.
Les tables ! Quand la librairie est plus calme, notre activité principale de libraire consiste à se mettre devant des piles de livres, de tout observer les poings sur les hanches, puis de les réorganiser pour avoir le meilleur merchandising possible. L'idée est d'avoir des liens logiques entre les livres présentés. Il faut que les clients trouvent facilement les livres qui font l'actualité (pour ce Noël 2023, Histoire de Jérusalem aux Arènes est la première pile qu'on voit en rentrant dans la librairie, avec en bacs le long de la caisse Le retour de Lagaffe, le Lucky Luke de Blutch, évidemment la nouvelle aventure d'Astérix L'Iris Blanc et Le Voyage de Shuna de Miyazaki) mais fassent aussi des découvertes en librairie indépendante (c'est là qu'on se fait plaisir avec nos piles de coups de cœur comme Le Chevalier au dragon, Le Convoyeur, Je suis leur silence...). Côté jeunesse, c'est pareil : l'album du médiatique Baptiste Beaulieu côtoie La compagnie des invisibles de la toute jeune maison d'édition bordelaise Michi. Et pour les romans, qu'est-ce que ça donne ?
17 romans ou séries (et un guide sur Harry Potter qui a été vendu au moment où je rédige cet article que je ne compte pas) sont présentés du côté des ados. Il y a aussi plusieurs dizaines d'autres romans à l'unité ou en deux exemplaires en rangés rayon, mais on ne va pas en parler. C'est vraiment la table qui m'intéresse dans cet article. Je l'ai pensée pour que la plupart des grands genres littéraires soient représentés et pour qu'elle plaise davantage aux adultes qu'aux jeunes. Eh oui, en décembre les ados ne sont pas nombreux en magasin donc ce sont les personnes qui achètent pour offrir à Noël auxquelles je m'adresse.
Côté réaliste / contemporain, j'ai placé Le Manga vu par deux ados écrit par Théo Kotenka et illustré par Diane Truc chez Poulpe Fictions au bout de la table, près d'un grand livre sur One Piece qu'on devine. Il aurait tout à fait sa place dans le rayon junior destiné aux 8 - 12 ans, mais la configuration du magasin fait qu'il serait beaucoup moins visible. Il faut savoir que ce roman documentaire est là placé pile en face du grand
rayon manga de la librairie, soit à portée de main des parents qui
veulent que leurs jeunes ados lisent des « vrais » livres (on y revient toujours). J'attire encore plus l'attention sur lui en lui ayant collé un petit mot qui vante le fait qu'il soit facile d'accès et très instructif. Ces notules ou les bandeaux promotionnels sont nos alliés quand on n'a pas le temps de discuter avec les clients. C'est ainsi pour cela qu'Octave d'Arnaud Cathrine est à l'unité sur la table avec son bandeau Prix Vendredi du jury du Pass Culture. Les jeunes parlent aux jeunes en sélectionnant ce roman et j'ai bon espoir qu'il se retrouve sous un sapin de Noël avec cette validation. J'ai encore joué le jeu des bandeaux avec Jody et le Faon, un classique réédité par Albin Michel Jeunesse dans sa collection ado Litt' qui indique qu'il a été gagnant du Pulitzer 1939, et qui est, je cite : « véritable ode à la nature, un roman magistral à redécouvrir absolument ». J'ai ainsi pu reporter ma lecture de ces deux ouvrages qui me tentent mais qui n'étaient pas prioritaires vu que leurs bandeaux représentent déjà des arguments de vente. Tant que fleuriront les citronniers est quand à lui orné d'une notule sur laquelle je me suis fendue d'un « ce roman est le plus important de la rentrée ». Il est fièrement en pile depuis sa parution et est victime de son succès vu qu'à chaque réassort que je fais il tombe en réimpression ! Ce titre bénéfice d'un grand bouche-à-oreille sur les réseaux sociaux où sa traduction était attendue avec impatience.
J'ai posté une chronique de Tant que fleuriront les citronniers sur Instagram, par ici ! |
Cette table fait aussi la part belle aux romans historiques. Je ne m'en suis rendue compte qu'au moment de rédiger cet article ! Certains sont à la croisée des genres, comme L'estrange malaventure de Mirella, cet incontournable de Flore Vesco qui s'habille d'une jolie couverture collector pour les fêtes et qui fraye entre le merveilleux et l'historique, vu qu'il se passe en plein Moyen-Âge. Les thrillers et les polars ne sont pas en reste avec L'Héritage de Judith Blackwood, une sortie récente chez Didier Jeunesse qui présente un whodunit haletant dans un manoir à la fin du XIXe siècle. Je les mets en opposition avec les très américain Killing November, un page-turner en deux tomes qui vient de sortir en poche et All the best liars que je n'ai pas lu mais qui se passe aussi aux USA. Pour le genre historique pur, je propose d'explorer plusieurs périodes : Pallas et son Antiquité revisitée que je n'ai pas lu non plus mais qui est un beau succès commercial au Rouergue donc je compte sur sa réputation, La plus grande de Davide Morosinotto dont j'avais beaucoup aimé les précédents titres et à qui je fais entièrement confiance pour emporter ses lecteur·rices au temps des pirates chinois, Louise Michel dans la collection des biographies romancées d'Albin Michel jeunesse se vendra sur son titre clair, Sous les étoiles de Bloomstone Manor qui prend place à la tout fin du XIXe siècle dans un temps où les femmes étaient corsetées dans une société qui ne les laissaient pas décider de leur destin - un coup de cœur sorti un peu plus tôt dans l'année que j'ai mis en pile car c'est un conseil facile que j'ai rôdé de fait depuis plusieurs mois et qui était dans les propositions de réassorts de son diffuseur avec d'excellentes conditions commerciales. Je ne pouvais pas passer à côté de Nous traverserons des orages d'Anne-Laure Bondoux, fresque familiale sur plus d'un siècle qui explore la transmission de la violence chez des générations d'hommes, à qui j'ai donné une belle place centrale sur la table et qui s'affiche avec et mon coup de cœur et le bandeau de la Pépite du SLPJ.
J'espère avoir réussi le pari de créer la table parfaite pour ma clientèle... quoi qu'il arrive j'aurai la réponse dès que le mois de Noël de décembre touchera à sa fin ! Peut-être que je viendrai faire un bilan des piles qui ont trouvé preneur par ici ?